Chars
Il est des hommes qui meurent
avec un faux nom,
d’autres qui inventent,
oublient, ou doutent de leurs noms,
je connais chacune des syllabes de mon nom
en Arabe
chaque mot est une direction.
–
Haifa, ma nostalgie
Je languis le
long corps
entier du matin,
nous offrant
à la légèreté de
sa brise méditerranéenne
comme s’il fut
tout ce que l’amour
ne pouvait pas être,
et le calme
de nos ailes
de la mer autour de nous
et les draps qui nous couvraient
à peine
sachant que mon cœur
était à toi
mais je n’ai pas prononcé
un battement
j’ai peut-être pensé
que ce dont tu avais le plus besoin
était mon silence,
j’avais tort peut-être?
–
Haifa Blues
Je te connais depuis presque toujours
mais ma voix ne pouvait pas t’atteindre
et nous sommes ici encore ensemble,
aucun de nous ne bouge
ton souffle dans mon dos,
le soleil qui assombrit la pièce où nous couchons
ensemble le bleu nous enveloppe
comme si c’était notre dernière chance ensemble
le bruit humain que nous produisons
nous sauvera peut-être
le temps est peut-être contre nous
et il y a bien trop à sentir
peut-être n’ai-je pas assez
de langue Arabe pour dire –
Avec toi, je ne vois jamais de fin
J’aimerais croire que cet amour
ne réduit pas nos chances
d’être ensemble cette ville
après tout –
la clé de la mer est dans le cœur
mais nous n’avons pas réalisé je crois
que l’amour n’est pas une mince affaire
–
Talhamiyeh*
J’ai entendu dire
je suis une Arménienne
qui croit les étoiles
être des fragments de foudre
abandonnés dans l’espace
par l’histoire,
j’ai entendu dire
j’ai du sang Romain
et mon frère est Turc
et Grec,
j’ai entendu dire
mon cœur est
près de la mosquée d’Omar
près de la Nativité
près d’un talisman
et d’un vieil homme
sans dents ni clés,
j’ai entendu dire
mes poèmes se sont transformés
en pierres
en lettres Araméennes,
j’ai entendu dire
qu’ici
les envahisseurs poussent les natifs de côté
les natifs donnent leurs noms aux arbres
et les arbres répètent les versets
la paix est partie,
j’ai entendu dire
j’étais une maison
faite de lumière de la Méditerranée
excepté que j’ai entendu ceci uniquement au printemps
et le printemps pourrait ne plus exister ici –
ils ont pris tous nos arbres –
peut-être Jésus peut-il expliquer ce qui s’est passé
ou peut-être tout ce dont j’ai besoin de me rappeler
est que
j’ai entendu dire – mais ça je le sais –
que je suis une Arabe,
les sept quartiers
de la vieille ville
m’ont laissé sept clés
pour que je puisse toujours entrer.
* Talhamiyeh signifie en arabe « de Bethlehem »
–
À Acca
Je suis arrivée sur ton vieux port
sans poèmes ni échos
sans mémoire –
mais je témoigne
soixante-sept années d’automnes ruinés
et chaque été tu grandis
davantage hors du temps,
je témoigne
nous avons construit ces ruines
ces maisons de pierres
les jardins de chaque foyer,
je témoigne
Um Ahmad
ils veulent démolir sa maison
mais nos fantômes ne partiront jamais
les ruines les gêneront,
je témoigne
les vitrines sont plus vides
les shababs sont laissés avec peu à faire
hormis les drogues qu’on leur donne
le crime auquel ils sont obligés de recourir
de sorte que vous pouvez les prétendre dangereux
mais leurs grands-pères reviendront en eux,
je témoigne
Pas à Vendre
nous n’allons ni bouger ni nous rendre
peut-être que personne ne se soucie
de ce que nous disons
mais la mer la mer la mer
nous a mémorisés,
je témoigne
je n’ai pas vu tes
enfants grandissent
on ne m’a pas donné cette chance,
j’ai grandi dans les confins
d’autres lieux,
rien ne peut être comparé
mais tu m’as manqué
et je n’ai pas su à quel point,
pardonne-moi,
je témoigne
nous sommes ensemble
même si nous ne le savons pas
et cette ville est une ville
au-delà de notre liberté incertaine
et ceux qui nous trahissent
ceux qui tentent de nous libérer
ceux qui nous plaignent
ceux qui nous aiment
ceux qui nous culpabilisent
dites-leur
regardez le clair de lune
contre les pierres sépia,
aucune armée ne peut détruire
ce genre d’amour,
je témoigne
je te vois en 2014
et je te verrai
chaque jour dans chaque rêve,
Acca,
je demande pardon pour ne pas avoir écrit plus tôt
pardon de ne pas chanter
les chants que la mer a composés pour nous
et l’éternité qu’elle a répétée pour nous
et même si les cimetières se multiplient
rappelle-toi que, comme Jérusalem,
même si cette ville est brisée
un survivant se lèvera
en chacun de nous
n’importe où en exil,
et sera la ville.
–
Ici
Le vieux port de Jaffa
est ici
la lumière du soleil s’est posée
dans nos mémoires
ici
les vieilles maisons de pierres
avec nos tuiles tuiles tuiles
preuves de foyers enterrés
sous différents noms
ici
les années que nous n’avons jamais définies
ici les échos que nous n’avons pas recueillis
l’un en l’autre
ici
la brise frissonnant
contre notre peau
le paradis sombre
sous nos yeux
ici
mais tu n’étais pas ici
et je n’étais pas ici
ils disent
mais nous étions ici
nous sommes ici
nous sommes ici
–
Quds
Chaque rue est encore
une pierre blanc ciel,
je rends hommage
à ceux qui ne sont pas
autorisés à entrer
tandis que j’entre dans Al Aqsa,
tandis que je prie
je regarde la spirale de couleurs
sur le plafond de Dieu,
pense à tout ce que j’aime
à qui j’aime
et
sa voix qui casse
son Arabe endolori
me blesse.
–
Heartsong*
Juste ils ont vu les vagues
Juste ils ont vu le vent
pendant que les maisons s’effondraient
Juste ils ont rêvé de rêves
Il n’y avait pas d’oiseaux
Il n’y avait pas d’arbres
Pas de mains pour couvrir leurs yeux
Pas de pluie pour se rappeler leurs pas
Juste ils ont vu leurs photos se délaver
sur les murs
juste ils ont vu leurs histoires
dérobées dans les accents d’étrangers
Juste ils
ils sont restés pour nous dire
ils ne sont jamais partis
ils s’allongent sur leurs ombres
veillant leur origine
leur cœur en chaque note
de chaque chant
ils sont restés pour nous dire
il y aura toujours
un cœur en mer
avec nos noms.
*chant du cœur
Nathalie Handal sera à l’Institut du Monde Arabe de Paris, pour les interludes poétiques de Palestine, ce 25 septembre: http://www.imarabe.org/jeudi-ima/interludes-poetiques-de-palestine
The Heart and the Sea - Un cœur en mer