La montagne
Gèle ton désir et souviens t’en
Comme d’une montagne au loin
I.
Il ne connaît que les noms des oiseaux et des anges
Il parle le langage de la patience
Son souffle enflammé loin des gens
Proche du cœur de la graine
Il était seul quand je l’ai connu
Il s’était détourné de moi
Une grenouille ricochant sur le feu
II.
Il ne marche que le matin
En chantant sur les chemins perdus
Et sans que nul ne s’en aperçoive
Il écoute le cœur de la pluie
Le chemin de la montagne accumulé dans ses paumes
Ses mains plus grandes que son visage
Deux points bleus sur peau durcie
III.
Il était seul quand je l’ai connu
Ensemble nous avions fait un feu
Il avait dit, la flamme dans la nuit est comme l’eau
S’efface avec des paroles
Éclate dans le silence
Que nos yeux clignent avec la lune
Que les étoiles s’y accumulent
IV.
Nous nous étions installés face à la montagne
Le silence courbe à nos pieds
Avait volé notre sommeil
Soudain je me suis demandée :
Pourquoi si seul, sans regard ?
Il enveloppa de vent la réponse
“Pas de solitude sans regard”
V.
Vers l’abîme
L’odeur des sapins frappa mes joues après sa chair
J’entendais les feuilles s’écraser
Sous les pas légers
Son souffle fusant dans mes veines
Il m’allongea tasse pleine de lait
Fraise des bois tiède et thym
Cache ici le souvenir accumulé, dit-il, quand il se videra
Que ta poésie fermente chaque goutte bue
Et murmure toujours avec les pierres au levé du soleil
Nord-Sud
À Mamadu…
1. Le Nord
Je suis au bord du Nord, sur le front de la carte
Dans l’obscurité précoce des arbres d’où tombent des gouttes de glace
Sous les craquements sombres des feuilles où sont cachés des oisillons
Dans la brume de whisky accumulée sous les toits
Avec le chant des ivrognes vêtant d’un imperméable le réverbère
Je me suis doucement retournée dans mon lit
Je suis au bord du Nord, là d’où reviennent les oiseaux
Dans cette chambre étroite où le sifflement devient bruit de trompette
Sur ces continents homeless cherchant un adepte de ses mots
Dans la récolte saisonnière qui lentement se consume en foyer
Avec le chant des ivrognes vêtant d’un imperméable le réverbère
Je me suis doucement retournée dans mon litJe suis au bord du Nord, sur front de la carte
Dans le grenier d’un temps où je ne puis recevoir de tes nouvelles
―Si quelqu’un avait demandé j’aurais raconté, personne n’a rien demandé―
J’ai éteint les étoiles et je t’ai écrit en silence
2. Le Sud
Tu étais dans le désert à l’époque, loin dans l’atlas
Un mouchoir pour tente, un murmure pour orchestre, une goutte dans ta gourde
Dans le pays des Casbah, partageant ton écu avec les pauvres
Tu demandais aux vendeurs les adresses des pays où tu n’irais jamais
Grimpant à l’arbre pour danser en compagnie des chèvres volantes
Ton œil trembla sur la photographie mise de côté
Tu étais dans le désert à l’époque, sur la terrasse nue de la voie lactée
Tes yeux frisés, ta démarche frisée, ton rire frisé !
Avec tes chants qui n’ont de sens qu’en Afrique
Tu avançais seul, futur pèlerin du vide
Grimpant à l’arbre pour danser en compagnie des chèvres volantes
Ton œil trembla sur la photographie mise de côté
Tu étais dans le désert à l’époque, loin dans l’atlas
Tu revoyais la nuit, tu guidais l’aube
―Si quelqu’un avait demandé tu auras raconté, personne n’a rien demandé―
Tu as chassé la fumée et tu m’as écrit en silence
L’effrayante timidité d’écrire un poème à une fleur
I.
Plus petites que tes pupilles
Les graines dispersées
Si tu les ramassais les plantais dans ton corps
Un printemps fertile en naîtrait
II.
Le vent est un tronc d’arbre au milieu de sa danse
Avec ses feuilles qui tremblent
Un toit pour tout ciel qu’il ne peut pas atteindre
Grimpant poussiéreux sur la montagne à papillons
Son odeur agite la rivière
III.
Il arrive que son visage rougisse au soleil
Dans le lac il rafraîchit son esprit
Se multiplie en s’effilochant
Couleur de sciure éparpillée
IV.
Je l’avais vu parler aussi avec ses doigts
Il n’eut pas du tout eu honte de sa nudité
V.
Les jumelles de l’horizon sur ta chair
Lorsqu’elle atteindra le fond
Ta parole retrouvera son brillant
Elle teindra aussi
Les oiseaux qu’elle a nourris
VI.
L’expression sur la tige écartée
Guidera ceux qui s’écarteront de leur vie
Le bouquet qui grandit sur sa langue
Abêtit la pluie
VII.
Un jour soudain
À l’horizon d’un nuage d’hiver
S’abêtit le pétale
Vivant sous la glace
Renaissant acier au printemps
VIII.
Il lui arrive de se dévêtir de ses couleurs
Mais nul jamais ne vit sa honte
Sans se cacher du monde
Sa voix s’échappa des racines
Vers son futur
IX.
Elles ont une profondeur innommable
Les petites choses
Par exemple la parole Écrire un poème à une fleur
Au bout du stylo
Fait mourir de rire
Les oiseaux moqueurs dans la vallée
Photographie de Simon Duclut-Rasse