Transcript 2001 - 2014

Pelin Özer – Poésie

De Pelin Özer
Langue d’origine : turc
Traduit en français par Canan Maraşlıgil, Marc Delouze
Thème: Impressions de la Méditerranée
Texte standard | Texte mis en forme

La montagne

Gèle ton désir et souviens t’en
Comme d’une montagne au loin

I.

Il ne connaît que les noms des oiseaux et des anges
Il parle le langage de la patience

Son souffle enflammé loin des gens
Proche du cœur de la graine

Il était seul quand je l’ai connu
Il s’était détourné de moi

Une grenouille ricochant sur le feu

II.

Il ne marche que le matin
En chantant sur les chemins perdus

Et sans que nul ne s’en aperçoive
Il écoute le cœur de la pluie

Le chemin de la montagne accumulé dans ses paumes
Ses mains plus grandes que son visage

Deux points bleus sur peau durcie

III.

Il était seul quand je l’ai connu
Ensemble nous avions fait un feu
Il avait dit, la flamme dans la nuit est comme l’eau
S’efface avec des paroles
Éclate dans le silence

Que nos yeux clignent avec la lune
Que les étoiles s’y accumulent

IV.

Nous nous étions installés face à la montagne
Le silence courbe à nos pieds
Avait volé notre sommeil

Soudain je me suis demandée :
Pourquoi si seul, sans regard ?

Il enveloppa de vent la réponse

“Pas de solitude sans regard”

V.

Vers l’abîme
L’odeur des sapins frappa mes joues après sa chair

J’entendais les feuilles s’écraser
Sous les pas légers

Son souffle fusant dans mes veines
Il m’allongea tasse pleine de lait

Fraise des bois tiède et thym

Cache ici le souvenir accumulé, dit-il, quand il se videra
Que ta poésie fermente chaque goutte bue
Et murmure toujours avec les pierres au levé du soleil

Nord-Sud

À Mamadu…

1. Le Nord

Je suis au bord du Nord, sur le front de la carte
Dans l’obscurité précoce des arbres d’où tombent des gouttes de glace
Sous les craquements sombres des feuilles où sont cachés des oisillons
Dans la brume de whisky accumulée sous les toits

Avec le chant des ivrognes vêtant d’un imperméable le réverbère
Je me suis doucement retournée dans mon lit

Je suis au bord du Nord, là d’où reviennent les oiseaux
Dans cette chambre étroite où le sifflement devient bruit de trompette
Sur ces continents homeless cherchant un adepte de ses mots
Dans la récolte saisonnière qui lentement se consume en foyer

Avec le chant des ivrognes vêtant d’un imperméable le réverbère
Je me suis doucement retournée dans mon litJe suis au bord du Nord, sur front de la carte

Dans le grenier d’un temps où je ne puis recevoir de tes nouvelles
―Si quelqu’un avait demandé j’aurais raconté, personne n’a rien demandé―
J’ai éteint les étoiles et je t’ai écrit en silence

2. Le Sud

Tu étais dans le désert à l’époque, loin dans l’atlas
Un mouchoir pour tente, un murmure pour orchestre, une goutte dans ta gourde
Dans le pays des Casbah, partageant ton écu avec les pauvres
Tu demandais aux vendeurs les adresses des pays où tu n’irais jamais

Grimpant à l’arbre pour danser en compagnie des chèvres volantes
Ton œil trembla sur la photographie mise de côté

Tu étais dans le désert à l’époque, sur la terrasse nue de la voie lactée
Tes yeux frisés, ta démarche frisée, ton rire frisé !
Avec tes chants qui n’ont de sens qu’en Afrique
Tu avançais seul, futur pèlerin du vide

Grimpant à l’arbre pour danser en compagnie des chèvres volantes
Ton œil trembla sur la photographie mise de côté

Tu étais dans le désert à l’époque, loin dans l’atlas
Tu revoyais la nuit, tu guidais l’aube
―Si quelqu’un avait demandé tu auras raconté, personne n’a rien demandé―
Tu as chassé la fumée et tu m’as écrit en silence

L’effrayante timidité d’écrire un poème à une fleur

I.
Plus petites que tes pupilles
Les graines dispersées

Si tu les ramassais les plantais dans ton corps
Un printemps fertile en naîtrait

II.
Le vent est un tronc d’arbre au milieu de sa danse
Avec ses feuilles qui tremblent
Un toit pour tout ciel qu’il ne peut pas atteindre

Grimpant poussiéreux sur la montagne à papillons
Son odeur agite la rivière

III.
Il arrive que son visage rougisse au soleil
Dans le lac il rafraîchit son esprit

Se multiplie en s’effilochant
Couleur de sciure éparpillée

IV.
Je l’avais vu parler aussi avec ses doigts
Il n’eut pas du tout eu honte de sa nudité

V.
Les jumelles de l’horizon sur ta chair
Lorsqu’elle atteindra le fond
Ta parole retrouvera son brillant

Elle teindra aussi
Les oiseaux qu’elle a nourris

VI.
L’expression sur la tige écartée
Guidera ceux qui s’écarteront de leur vie
Le bouquet qui grandit sur sa langue
Abêtit la pluie

VII.
Un jour soudain
À l’horizon d’un nuage d’hiver
S’abêtit le pétale

Vivant sous la glace
Renaissant acier au printemps

VIII.
Il lui arrive de se dévêtir de ses couleurs
Mais nul jamais ne vit sa honte

Sans se cacher du monde
Sa voix s’échappa des racines
Vers son futur

IX.
Elles ont une profondeur innommable
Les petites choses

Par exemple la parole Écrire un poème à une fleur
Au bout du stylo
Fait mourir de rire
Les oiseaux moqueurs dans la vallée

Photographie de Simon Duclut-Rasse